Le CNT adopte à l’unanimité la nouvelle Constitution guinéenne : un tournant majeur pour la refondation politique et la souveraineté citoyenne.
Le 9 avril 2025 marquera une date charnière dans l’histoire institutionnelle de la Guinée. Ce jour-là, les 80 Conseillers nationaux du Conseil National de la Transition (CNT), réunis sous la présidence du Dr Dansa Kourouma, ont adopté à l’unanimité le projet de nouvelle Constitution de la République de Guinée. Un vote qui, par son caractère symbolique et solennel, est déjà présenté par les voix officielles comme l’aboutissement d’un processus inclusif, patriotique et porteur d’espoir pour un renouveau démocratique. Mais au-delà de l’unanimité et des discours enthousiastes, se pose une question essentielle : cette adoption consacre-t-elle réellement la volonté du peuple ou révèle-t-elle plutôt les limites d’une transition politique construite sur un consensus institutionnel plus que populaire ?
Une unanimité historique… mais homogène
L’unanimité de ce vote — 80 voix pour, 0 contre, 0 abstention — pourrait à première vue témoigner d’un rare moment de cohésion nationale. Dans un pays historiquement divisé par des querelles politiques, ethniques et institutionnelles, voir toutes les sensibilités représentées au CNT s’accorder sur un même texte est un fait inédit. Cependant, cette unanimité suscite aussi des interrogations sur la pluralité réelle des débats. Dans toute démocratie, le désaccord est souvent un indicateur sain de diversité de pensée. Or, l’unanimité absolue, dans un contexte aussi complexe que celui de la Guinée en transition, peut être interprétée comme une uniformisation du débat, voire comme un conformisme institutionnel dicté par l’ambition de plaire à l’exécutif.
Il est important de rappeler que les membres du CNT ne sont pas élus par le peuple, mais désignés dans le cadre d’un processus transitoire. Dès lors, leur légitimité démocratique repose moins sur un mandat populaire que sur une représentativité sectorielle et politique. Cette réalité n’invalide pas leur action, mais elle relativise la portée populaire de ce consensus.
Le leadership de Dr Dansa Kourouma et le rôle de l’institution parlementaire
Il faut toutefois saluer le rôle structurant du président du CNT, Dr Dansa Kourouma, dont le leadership méthodique et mesuré a permis d’instaurer un climat de travail apaisé et rigoureux. Depuis sa prise de fonction, il a insisté sur la nécessité de placer l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus des calculs politiques, un mot d’ordre qui a largement orienté les travaux du CNT. Ce climat de rigueur a sans doute favorisé la qualité des échanges et le respect mutuel dans l’examen des articles de la future Loi fondamentale.
Mais un leadership, aussi équilibré soit-il, ne peut se substituer à un véritable débat citoyen. Or, malgré les consultations menées dans le pays, beaucoup de Guinéens se disent encore peu informés sur le contenu réel de la nouvelle Constitution, sur ses implications concrètes pour leur quotidien, ou sur les mécanismes de contrôle démocratique qui y sont inscrits. Si la participation institutionnelle semble avoir été au rendez-vous, la participation populaire, elle, reste à consolider.
Une Constitution pour « rassembler » : intention noble, exécution perfectible
L’adoption du projet de Constitution s’inscrit dans la vision portée par le Président de la République, le Général Mamadi Doumbouya, qui a appelé à doter la Guinée d’une Loi fondamentale « qui nous ressemble et nous rassemble ». Ce mot d’ordre a inspiré un processus que les autorités présentent comme inclusif. Des missions d’écoute ont été organisées à l’intérieur du pays, des experts ont été mobilisés, et plusieurs couches socioprofessionnelles ont été consultées.
Mais la profondeur de cette inclusion reste débattue. Certaines voix, issues de la société civile, estiment que le processus aurait pu aller plus loin dans l’appropriation populaire du projet. Dans une période de transition, marquée par une limitation des libertés d’expression et une faible mobilisation des partis politiques, le débat constitutionnel aurait gagné à s’ouvrir davantage aux opinions dissidentes et aux critiques constructives. Car une Constitution, si elle se veut durable, doit non seulement reposer sur le consensus des institutions, mais surtout sur celui du peuple.
La refondation institutionnelle : entre ambition républicaine et épreuve de réalité
Le texte adopté entend jeter les bases d’une « refondation institutionnelle solide et durable », selon les termes utilisés dans la communication officielle du CNT. Parmi les innovations saluées figurent : la reconnaissance renforcée des droits fondamentaux, la réorganisation des pouvoirs exécutifs et législatifs, et la prise en compte de l’équilibre entre les pouvoirs. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la place accordée aux collectivités locales et la promotion de la transparence dans la gestion publique sont également des avancées notables.
Cependant, la meilleure des Constitutions ne vaut que par sa mise en œuvre effective. Et c’est là que réside le plus grand défi. Dans l’histoire politique guinéenne, plusieurs textes fondamentaux ont été adoptés avec faste, sans que leur application ne suive les promesses. La Constitution de 2010, par exemple, garantissait une indépendance de la justice et des droits sociaux étendus, mais ces principes sont souvent restés théoriques. Aujourd’hui, la question centrale est donc de savoir si les institutions chargées d’appliquer cette nouvelle Constitution seront dotées de la capacité, de l’indépendance et de la volonté de respecter ses dispositions.
Quelles perspectives pour le peuple guinéen ?
Avec cette adoption unanime, le CNT a rempli une étape essentielle de la transition. Mais le peuple guinéen attend désormais des actes. Il ne suffit pas d’écrire une nouvelle page, encore faut-il qu’elle soit lue, comprise et appropriée par tous. Le défi des mois à venir sera donc double : d’une part, soumettre ce projet de Constitution au référendum populaire, comme promis, pour lui donner une légitimité incontestable ; d’autre part, veiller à ce que les mécanismes de veille citoyenne, de contrôle parlementaire et d’indépendance judiciaire soient réellement opérationnels.
Il serait également pertinent d’organiser une large campagne de vulgarisation du contenu de cette Constitution, dans les langues nationales, à travers les médias, les écoles et les institutions communautaires. Une démocratie forte repose sur un peuple éclairé. Et une Constitution vivante est celle que les citoyens peuvent citer, invoquer et défendre.
En guise de conclusion : entre fierté nationale et vigilance démocratique
Oui, le 9 avril 2025 est un jour historique. Oui, l’unanimité du vote au CNT est un signal fort de cohésion institutionnelle. Et oui, le texte adopté porte en lui des promesses de renouveau. Mais l’histoire de la Guinée nous a appris à ne pas confondre espoir et réalité, texte et mise en œuvre, consensus politique et engagement citoyen.
À ce tournant décisif, le peuple de Guinée doit rester vigilant, actif et exigeant. Car une Constitution ne change pas un pays : ce sont les citoyens, leurs institutions, leurs luttes et leurs choix quotidiens qui en font un outil de transformation ou un texte de plus.