Vers une Nouvelle Constitution : entre symbole de refondation et défis démocratiques

À l’approche d’un moment historique pour la Guinée, les projecteurs sont braqués sur le Conseil National de la Transition (CNT), qui s’apprête à remettre officiellement le projet de la nouvelle Constitution au Président de la République, le Général Mamadi Doumbouya. La cérémonie, prévue le 28 juin 2025, incarne une étape clé du processus transitionnel enclenché depuis le coup d’État de septembre 2021.

En prélude à cet événement, une réunion stratégique s’est tenue le 23 juin dans les locaux du CNT à Conakry, présidée par l’honorable Dr Dansa Kourouma, président de l’institution.L’objectif de cette rencontre : apporter les derniers ajustements à l’organisation de la cérémonie de remise, dans un contexte de tension entre espoirs citoyens, exigences de légitimité institutionnelle, et critiques persistantes sur le degré réel d’inclusivité du processus constitutionnel.Un processus présenté comme inclusifLe CNT revendique un processus participatif ayant conduit à l’élaboration du projet de nouvelle Constitution.

Cette dernière a été soumise à une relecture par un comité d’experts, censés refléter les préoccupations des différentes composantes de la société guinéenne : partis politiques, organisations de la société civile, communautés religieuses, représentants des régions, diaspora, etc.D’un point de vue formel, des consultations nationales ont bien été organisées à l’échelle du territoire. Des centaines de mémorandums auraient été reçus, et plusieurs ateliers régionaux ont eu lieu. Ce format donne une apparence démocratique au processus. Mais il est légitime de s’interroger sur la profondeur et l’impact réel de ces consultations.

Quelles propositions citoyennes ont été réellement intégrées dans le texte final ? Le processus a-t-il permis aux voix critiques de s’exprimer pleinement ou a-t-il surtout servi de caution démocratique à un projet déjà orienté ?Il faut rappeler que les transitions politiques, surtout sous régime militaire, ont souvent tendance à privilégier des formes d’inclusion qui valident une trajectoire prédéfinie. Cela ne remet pas systématiquement en cause la sincérité des acteurs impliqués, mais invite à un examen lucide : entre volonté de réforme et stratégie de légitimation.La remise du projet au président : un acte hautement symboliqueLa remise solennelle du projet de Constitution au chef de l’État incarne un moment de forte symbolique institutionnelle.

Il s’agit pour le CNT de montrer qu’il a mené à bien sa mission et que la Transition progresse selon la feuille de route annoncée.Mais ce passage soulève une autre question fondamentale : le rôle du Président dans ce processus. Si la Constitution est censée émaner du peuple, quel sens donner à sa remise par une institution désignée (et non élue) à un chef de l’État lui-même issu d’une prise de pouvoir militaire ?

Il serait pertinent que ce moment de transmission soit immédiatement suivi d’un référendum ou d’un mécanisme d’appropriation populaire du texte, sous peine de voir l’acte symbolique perçu comme une simple formalité ou un passage obligé.Une cérémonie pensée comme inclusive et représentativePour garantir la solennité et la portée nationale de l’événement, le CNT envisage de collaborer avec plusieurs ministères ainsi qu’avec des figures de la société civile, notamment les femmes et les jeunes. L’idée est de mobiliser les acteurs les plus représentatifs de la nation afin de renforcer l’ancrage populaire du texte.

Si cette volonté d’inclusion est à saluer, elle doit aller au-delà de la symbolique. Il ne suffit pas d’inviter des jeunes ou des représentants de la société civile à une cérémonie pour valider un processus. L’engagement réel des acteurs doit être vérifiable à travers leur participation aux contenus du texte, aux mécanismes de veille citoyenne qui accompagneront son application, et surtout, à travers leur capacité à interpeller les autorités en cas de dérives futures.

Un tournant, mais pas une finLa remise du projet de Constitution ne marque pas la fin du processus transitionnel, mais plutôt un tournant. Plusieurs défis restent à relever :L’adoption effective du texte, à travers un référendum ou une procédure validée par les forces vives de la nation ;La vulgarisation citoyenne, afin que chaque Guinéen comprenne les droits et les devoirs que lui confère la nouvelle Loi fondamentale ;La mise en place d’institutions garantes de l’équilibre des pouvoirs, indispensables à toute démocratie viable ;La préparation d’élections libres, crédibles et transparentes, qui mettront fin à la transition.

Le processus de rédaction d’une nouvelle Constitution est un acte majeur de souveraineté nationale. En tant que tel, il ne peut être perçu comme une simple formalité juridique ou un symbole d’apaisement politique. Il doit être vécu, porté et validé par le peuple lui-même.La démarche du CNT, bien que structurée et institutionnellement encadrée, doit encore franchir plusieurs étapes pour gagner en légitimité.

La transparence dans la diffusion du contenu du texte, l’organisation d’un vrai débat public et la mise en œuvre d’un mécanisme de suivi indépendant seront autant de gages pour transformer cette initiative en socle durable de démocratie.La cérémonie du 28 juin s’annonce donc à la fois solennelle et décisive. Mais ce n’est qu’une pièce d’un puzzle plus vaste : celui de la refondation politique, éthique et institutionnelle de la Guinée.

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